"Etre vieux, une fatalité dans le monde moderne?"
Marjorie Lombard
« Je ne sers plus à rien »
« Je suis un poids pour mes enfants, pour ma famille »
« J’ai suffisamment vécu, mes enfants sont établis dans la vie, ils n’ont plus besoin de moi »
« Je ne peux plus rien faire, à quoi bon vivre »
« Je ne me reconnais pas, mon corps n’est plus mon corps »
Etrangers à eux-mêmes, parfois à leur entourage et bien souvent au monde…
Nombreuses sont les confidences qui résonnent ainsi, je ne les compte plus et ne peux que constater le désespoir qu’elles inspirent. Entendre et ainsi permettre à ce temps de la désolation de s’exprimer, en espérant qu’un autre discours prenne le relai, celui qui dirait que nous sommes une fin en soi, que nous disposons d’une valeur intrinsèque à notre existence et que seules les choses servent – pas les Hommes ; un discours qui dirait qu’accompagner une personne qui nous est chère constitue, en fait, un acte sacré dans le sens où il nous élève par-delà la souffrance ; un discours qui dirait que l’existence ne trouve pas sa légitimité dans le faire mais dans l’être, que la création n’est pas nécessairement contrainte aux gestes pour s’accomplir ; un discours qui dirait, enfin, qu’au fond de soi, notre noyau d’être demeure, quelque soit les métamorphoses de l’enveloppe. Plutôt que de dire tout cela, je pourrais partager la pensée de Yone Noguchi, véritable source d’inspiration. Elle dit cela :
« J’écoute le chant des oiseaux non pour sa voix mais pour le silence qui suit »
Toute parole nait du silence, c’est le cas de la pensée aussi. Et pourtant, aujourd’hui, les oiseaux ne cessent pas de jacasser nous dit Diderot.
“N'avez-vous pas remarqué quelquefois à la campagne le silence subit des oiseaux, s'il arrive que dans un temps serein un nuage vienne à s'arrêter sur un endroit qu'ils faisaient retentir de leur ramage ? Un habit de deuil dans la société, c'est le nuage qui cause en passant le silence momentané des oiseaux.” (...)
"Le corps à l'épreuve de la déportation."
Marjorie Lombard
« Nous étions les travailleurs de l’usine de Treblinka, et nous dépendions de tout le processus de fabrication ».
C’est sous la plume de Jankiel Wernick, rescapé du camp, que je fais le choix d’introduire mon propos, et sous le trait de crayon d’Alfred Kubin, que je fais celui de l’animer. Une vingtaine de dessins pour illustrer l’impensable. Les productions de l’artiste donnent à voir une humanité soumise, dépassée par des forces obscures et oppressantes. Les créatures qui peuplent son univers nous éveillent à la composition fantasmatique de la chimère qui trouve à s’animer sous l’égide du fonctionnement du camp. C’est ce que nous allons découvrir…
La guerre d’Alfred Kubin laisse apparaître un homme au pas lourd, conquérant : il pourrait sembler que ce soit là le « Marche encore » que je titre.
Alors peut-être que résonneraient des « Gehen Sie schneller », ou encore des « Gehen Sie noch » ; Marchez plus vite, marchez encore !
Plus subtilement, c’est à une marche entre corps confondus, dans le sens de « marche en-corps », comme procédé induit par la première injonction.
De cette humanité soumise, en-formée dans l’œuvre d’Alfred Kubin, Bruno Bettelheim écrit qu’ « à Buchenwald, qui représentait une étape ultérieure du national-socialisme, il n’était plus question de considérer les prisonniers comme des individus. […] C’est presque toujours le groupe qui était puni. Il était presque impossible aux prisonniers de ne pas coopérer avec les efforts des S.S. pour les réduire à la passivité dans une masse désindividualisée. »
C’est à une perte du sujet, ainsi pris dans la masse, que fait référence l’auteur : la dissolution du Je pour le Nous du groupe déporté, de cette façon, bien plus enclin à la manipulation par le bourreau.
C’est ici ma théorie de la création d’un « corps machine » dans le contexte de la déportation.
Montage vidéo de la conférence
Support PPT de la conférence
©2017 Marjorie Lombard - Docteur en Psychologie - LILLE