Marjorie Lombard
Docteure en psychologie, approche psychodynamique
Psychologue clinicienne et psychothérapeute
Sexologue, spécialisée en droits humains
Chargée d'enseignements universitaires
Marjorie Lombard
Docteure en psychologie, approche psychodynamique
Psychologue clinicienne et psychothérapeute
Sexologue, spécialisée en droits humains
Chargée d'enseignements universitaires

Les violences sexuelles infantiles, berceau ou tombeau des fantasmes érotiques ?


Rosa Caron

Psychanalyste, MCF-HDR Université de Lille/PSITEC

 

Marjorie Lombard est une spécialiste incontestée d’une clinique du réel, souvent délaissée par les psychologues orientés par la psychanalyse. Elle nous livre dans un travail de recherche passionnant son approche des personnes ayant subies des violences sexuelles et l’accompagnement singulier qu’elle propose. Ce travail se situe à contre-courant d’un discours souvent consensuel réduisant derrière l’impératif d’une « libération de la parole » ces personnes au silence, leur assignant une place de victime dans laquelle elles se trouvent désormais littéralement enfermées. Tel un promeneur qui ouvre le chemin en marchant, c’est toujours à partir de la rencontre avec des personnes souffrant dans leur corps et dans leur impossible sérénité d’être, que Marjorie Lombard puise des questionnements inédits pour revisiter la clinique analytique et inventer des dispositifs thérapeutiques singuliers.

Ces toutes dernières recherches s’inscrivent naturellement dans un parcours exceptionnel de clinicienne, d’exploratrice-chercheure des méandres du fonctionnement psychique et de ses aléas, parcours dont la richesse et la créativité n’est plus à démontrer. Très remarqué lors de sa formation de psychologue à l’Institut Catholique de Lille, son mémoire de fin d’études, suivi d’un doctorat, inaugurait déjà une imprudence insolente à s’aventurer vers des problématiques difficiles à approcher. Ses premiers travaux abordaient la question, alors taboue pour la plupart des étudiants, du cancer et de ses effets ravageurs sur le corps et la psyché, entrainant l’effondrement insidieux du rapport au monde des malades, voués de façon inéluctable à la survenue terrifiante d’une mort certaine. Il fallait déjà une certaine exigence vis à vis de soi-même pour accepter d’être confrontée aux situations d’extrême fin de vie, de séparation, de mort, y compris chez les plus jeunes. Il fallait aussi une mise au travail permanente pour accueillir tant de détresse et de désarroi logés au creux d’une médecine impuissante, qui a trouvé dans les soins palliatifs son dernier refuge.

C’est en convoquant l’art et le statut de témoin dans la traversée du cancer lors de son doctorat qu’elle a pu les aborder de façon très phénoménologique avec le regard que lui apportait la psychanalyse. La question du deuil, pourtant si souvent rebattue a trouvé, grâce à elle et aux travaux d’Allouch qu’elle a revisités, des voies nouvelles pour proposer une modélisation psychopathologique de la souffrance de ces malades faisant chuter un paradigme freudien qui avait alors valeur de vérité. Mais c’est sans conteste la façon dont elle en rend compte, dans sa thèse, dans ses publications, lors de ses conférences et enseignements à l’adresse d’étudiants, futurs acteurs du soin, que s’est révélée ce que j’appellerai sa signature, à travers un style ciselé, poétique et il faut bien le dire souvent subversif.

Marjorie Lombard présente ici ses recherches actuelles dans la continuité d’une démarche qui fait advenir et reconnaitre le sujet, sujet parlant et désirant, où qu’il se trouve et quelle que soit la voie qu’emprunte sa parole murée dans le statut de malade incurable ou, comme dans cet ouvrage, celui durement acquis de victime de violences sexuelles. Dans le droit fil de sa démarche de recherche, à la fois toujours la même, mais prenant pourtant des chemins de traverse différents, Marjorie Lombard interroge la sexualité au sens le plus littéral du terme, lorsque celle-ci a été bafouée, dominée et objectalisée. C’est donc un moment particulier de son cheminement qu’elle nous propose pour rendre compte de vécus touchant le corps à corps avec l’autre au creux même de ce qui est le plus intime et le plus partagé. La problématique qui lui sert de fil conducteur concerne les effets de l’occurrence de violences sexuelles prenant le corps de l’enfance en otage, dans l’après coup de la sexualité génitale. Elle est le fruit de la rencontre avec des femmes, des hommes touchés, au temps de l’enfance, au plus profond de leur chair et sommés en un temps de se taire, puis aujourd’hui de parler à tout prix pour que le traumatisme puisse se dissoudre dans une réparation illusoire. A l’inverse d’une société qui reste sourde au cri singulier de l’horreur, qui cherche à tout normaliser, à tout chiffrer, à canaliser toute émotion, Marjorie Lombard s’empare d’un nouveau sujet tabou dans un défi thérapeutique sans précédent.

Comment survivre après de tels évènements qui jettent le corps dans la tourmente jusqu’à le dévier de sa trajectoire ?  L’enjeu est majeur car il s’agit de dévoiler ce qui est resté non accepté, non reconnu et non symbolisé et qui fait irruption dans une sexualité blessée, atrophiée ou compulsive, colonisant le désir et le plaisir qui lui seraient associés. C’est avec la rigueur qui la caractérise, et l’apport de disciplines croisées, qu’elle se donne pour objectif de recherche de décrypter ce qui est resté en errance, enclavé au sens d’Abraham et Torok, pour qu’enfin, ces personnes piégées dans le corps de l’enfance se réapproprient les multiples ressorts du corps devenu adulte.

On ne peut que s’étonner dans une première lecture, du titre de sexologue et de sexothérapeute qu’elle affiche avec une détermination surprenante, alors que sa démarche reste résolument clinique. C’est lorsque le lecteur comprend sa démonstration qu’il entrevoit la justesse de cet espace d’où elle parle qui lui donne la légitimité pour être en confidence avec l’autre, dans un profond respect de ce qu’il a longtemps tenu secret, parfois à son insu. Légitimité aussi, pour qu’elle puisse nommer cet autre lieu de souffrance, lieu du réel, lieu de l’indicible effraction traumatique. Il ne faut pas se méprendre, Marjorie Lombard renoue avec l’intuition qu’avait eu d’emblée Freud, à propos des abus sexuels ou des violences sexuelles subis dans l’enfance et le nécessaire maillage des approches, permettant au thérapeute d’ajuster au plus près de la singularité de chacun, ses propositions thérapeutiques. Si pendant des décennies, la psychanalyse a essayé de s’affranchir de ses multiples filiations, (neurologiques, philosophiques, anthropologiques, sociologique, artistiques), c’est donc un retour au geste freudien que Marjorie Lombard opère ici. A partir de plusieurs référentiels dont elle s’est approprié les fondements en les étudiant, elle fait advenir le sujet en l’accueillant dans ses différents registres avec une humilité qui lui est particulière. Ainsi ses travaux s’enrichissent ils toujours des développements de la recherche en psychologie, mais non exclusivement, pour proposer des réponses aux questions qu’elle se pose sans jamais les clôturer. D’autres champs de recherches, d’autres lieux de souffrance insoupçonnés restent irréductiblement ouverts, démontrant s’il fallait en douter que la psychanalyse en prenant appui sur d’autres savoirs, répond du fait de sa démarche et son herméneutique, aux exigences de la science.

Malgré sa grande culture et l’étendue de ses recherches, c’est toujours dans une attitude questionnante et une position d’ignorance qu’elle part à la rencontre de l’autre souffrant. Par sa finesse clinique et sa grande disponibilité psychique, autrement appelée capacité de rêverie par Bion, grâce à ses capacités intuitives, elle permet à l’imprévisible de la parole de se déployer et à faire advenir le non-représentable qui pourra ensuite être pensé et métabolisé. La pratique clinique de Marjorie Lombard, pratique éthique, permet de fait aux personnes qu’elle rencontre de trouver un objet de survivance, tel que Winnicott l’a conceptualisé. C’est ainsi que Marjorie Lombard permet à chacun d’entrevoir sa propre vérité, pour qu’il puisse progressivement renouer avec lui-même à partir de l’espace clinique qui lui est proposé. Mais cette pratique resterait inaccessible au lecteur si le désir propre de transmission de Marjorie Lombard venait à s’essouffler. Car c’est bien de ce désir dont il aussi question dans cet ouvrage, désir de témoigner à travers l’écriture d’expériences psychiques d’anéantissement, de morcellement ou de falsification de l’Etre. De toute évidence, ce travail d’écriture a comme fonction de déporter sur une autre scène, moins intime, plus ouverte, plus métaphorique, ce qui est longtemps resté indicible, brut et silencieux, de le border et de le structurer. C’est à ce prix que Marjorie Lombard, dépositaire dans un lieu feutré de mots impossibles, d’affects violents, peut border son propre espace psychique pour qu’elle survive à l’analyste qu’elle est pour ses patients. Ce désir à l’œuvre dans la thérapie permet que se crée un lieu de survivance, celui de la rencontre clinique croisée à celui de l’écriture. Dans ces différentes séquences de survivance, l’écriture de ces rencontres devient le moteur de l’espace thérapeutique, lieu suffisamment créatif et vivant pour qu’il soit promesse d’une inscription quelque part sous la plume poétique du thérapeute. S’il paraît indécent de parler de poésie pour retranscrire des situations traumatiques, c’est pour évoquer la transformation dans une autre langue, celle de l’écriture, de l’histoire vécue de ces patients dont Marjorie Lombard nous fait le récit. Dans le style métaphorique qui a toujours été le sien, l’art de Marjorie Lombard et sa saisie du sensible, se dévoilent avec une finesse infinie donnant à ses patients, malgré le tragique de leur existence, profondeur et capacités de résilience. Car c’est bien dans la mise en écriture de l’élaboration de ces rencontres que la démarche de Marjorie Lombard, rigoureuse, novatrice trouve toute sa puissance et redonne à la démarche de recherche en psychanalyse, sa beauté et son exigence.


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